Gestion du changement

La saturation au changement et la considération de l’indicateur humain en contexte de crise

L’article suivant se base sur le webinaire « GO/No-Go, l’indicateur humain à considérer » animé par Emmanuelle Fortier D.Ps. Conseillère principale en gestion de changement chez Talsom. Ce webinaire a eu lieu le 3 septembre dernier, en partenariat avec PMI Montréal.

Par Pascale Maude Salvail, analyste junior – Talsom

Le contexte actuel a eu de nombreux impacts sur toutes les sphères de la société, mais particulièrement sur les individus. S’ils sont au centre de ces bouleversements et sont affectés sur tous les plans de leur vie, comment cela se reflète au sein des organisations ?

Gartner, dans sa présentation des trois types de projets en entreprise, explique voir un changement de proportion dans les pratiques des projets au sein des organisations post-COVID-19. Effectivement, on voit une augmentation des projets transformationnels par rapport aux projets de type croissance et de type amélioration. Ceci serait dû à un changement de besoin des organisations. Cependant, dans le Radar technologique 2020, on présentait que « 72 % des répondants [à un sondage fait par Talsom] expliquent que leur degré de préparation à engager un processus de transformation digitale est incertain ou inexistant ». Ce qui peut paraitre inquiétant.

La dette transformationnelle (concept que l’on retrouve dans le Radar technologique 2020 par Talsom) peut expliquer en partie ce changement de cap chez les organisations. Puisque déjà présente avant la crise, sa présence et ses impacts de celle-ci ont été plus durement ressentis dans les derniers mois. Plusieurs entreprises et industries ont dû s’ajuster, mais pour certaines le changement était moindre que pour d’autres puisqu’elles avaient une dette transformationnelle moins importante.

Dans le concept de dette transformationnelle, on inclut la dette humaine, celle-ci a été affectée par la crise puisqu’elle a eu un impact considérable sur chaque individu. Chacun a été affecté dans les quatre sphères de sa vie : vie professionnelle, vie familiale, vie sociale et vie personnelle. Chacun a eu besoin de s’adapter, à un changement puis à un autre dans un court laps de temps. Le chevauchement entre ces changements demande également de l’adaptation de façon constante. Ceci est d’autant plus exigeant lorsqu’on sait que c’est probablement le début d’une nouvelle réalité.

La saturation au changement représente donc l’« état de surcharge mentale caractérisée par un degré d’épuisement et d’anxiété accrue, causé par un ou plusieurs stresseur(s) importants dans l’environnement de l’individu, affectant sa capacité d’adaptation et son fonctionnement général. » Une bonne façon de l’illustrer est d’imaginer un verre d’eau qui avant la COVID était à 50 ou 75% plein, mais qui maintenant est constamment à une goutte près de déborder. Tout individu a une limite, la COVID a pour plusieurs grugé l’énergie au point où l’on parle de saturation et où nos gens travaillent avec une capacité moindre. On doit recharger nos batteries. C’est le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui et c’est le contexte dans lequel les individus avancent au sein des différentes organisations.

Quels sont les risques?

Plusieurs risques peuvent s’associer à la saturation au changement, on pense entre autres à des pertes financières dues à des échecs de projets, à la perte de productivité individuelle ou généralisée. A ceux-ci s’ajoutent l’épuisement et l’absentéisme liés à une perte de motivation, le développement des tensions et conflits au sein des équipes puis une perte de contrôle et de sérieux questionnements.

Comment l’évaluer ?

Il est important de se rappeler que la saturation au changement n’est pas causée seulement par les changements vécus au travail, mais bien une accumulation dans toutes les sphères de la vie des employés. Il faut donc trouver une façon d’évaluer de façon globale leur capacité individuelle d’adaptation en tenant compte des facteurs de leur environnement à la maison, au travail, dans la société, etc. Sans pour autant, entrer en mode interventions puisque ces sphères sont hors du contrôle des organisations.

C’est par le biais d’un sondage, en posant des questions, qu’il sera possible d’évaluer la capacité individuelle d’adaptation des employés puis la médiane de celle-ci au sein de l’organisation. Le sondage nous permet rapidement d’obtenir l’information au niveau individuel, et d’en faire ressortir un portrait global par la médiane obtenue. Nous sommes alors en mesure d’adapter les démarches et les projets en fonction des résultats. Cet exercice peut ensuite être répété dans les différents sous-groupes ; équipes, rôles, etc.

Qui plus est, si l’on combine les résultats de capacité individuelle à un exercice de cartographie des changements, nous serons en mesure d’identifier l’écart entre l’ampleur et la quantité de projets impactant nos employés et la capacité qu’ils sont en mesure d’offrir au moment du sondage. Pour ce faire, il s’agit de faire une analyse des projets visant à évaluer ces deux facteurs. Nous obtenons alors quatre quadrants ; une zone de confort qui s’oppose à une zone de saturation et deux zones dites à surveiller.

La zone de confort est la zone où nous sommes en mesure de minimiser le niveau de saturation individuel et c’est l’inverse pour la zone de saturation au changement, c’est plutôt une zone qui présente des risques. Une petite dette transformationnelle peut être un propulseur de capacité menant vers la zone de confort. Une grande dette transformationnelle agit comme une pression additionnelle et nous amène vers la zone de saturation. En faisant cet exercice, nous nous donnons la capacité de mesurer le risque associé à la saturation au changement.

Comment l’intégrer? Être proactif, plutôt que réactif.

Une fois que nous sommes allés chercher l’indicateur, comment l’intégrer? À chaque étape du projet, il peut être mis en application et intégré dans nos actions. On cherche à atteindre un équilibre entre ce qu’on peut donner et ce qu’on demande aux individus. C’est la balance qui représente le mieux les tactiques et les interventions qu’on va mettre de l’avant, les pistes de réflexion. Lorsqu’on confie une tâche à quelqu’un par exemple on peut anticiper le fait qu’on va devoir lui enlever une autre tâche. Soit en envisageant de faire des embauches temporaires ou en priorisant les tâches, ou en les redistribuant. Cependant, la redistribution des tâches vient avec ces conséquences, dans certains cas cela ne fait que bouger le mal de place.

L’angle mort

La pandémie a mis toute la société, dont le secteur économique en mode gestion de crise. Le printemps a été le moment de réaction, l’été a permis une certaine maitrise et maintenant à l’automne 2020 on se retrouve prompt pour une reprise. Cependant, il existe un niveau de saturation généralisé, ce qui met à risque les projets, dont les projets transformationnels qui sont devenus essentiels. Or lorsqu’on sait qu’avant la crise ce n’était que 16% des entreprises qui déclaraient être prêts pour leur transformation numérique, on comprend d’autant plus qu’aujourd’hui on a l’obligation de gérer nos risques.

Prévenir les risques associés à la saturation au changement permet de diminuer les coûts qui peuvent être associés à devoir agir après coup, et l’évaluer est le point de départ. Il est donc essentiel d’outiller les intervenants de premières lignes, les gestionnaires, pour qu’ils-elles soient en mesure de détecter les signes, comprendre leurs employés et agir pour les aider tout en étant supportés par leur organisation.

La COVID-19 a eu pour impact de nous amener à questionner ce qui fait la différence dans nos vies. Autant dans notre vie personnelle et que dans notre vie professionnelle. Une piste de réflexion pertinente serait peut-être de retourner voir nos employés et de comprendre les moments qui font la différence dans leur parcours employé. Ceux-ci ont fort probablement été révisés ou du moins ont évolué. Il y a un potentiel d’amélioration dans l’employee journey qui aiderait à la prévention de l’atteinte du taux de saturation individuel.

Publié le 12 août 2021